Essai
Selon le journaliste Romaric Godin, la politique néolibérale de plus en plus autoritaire d’Emmanuel Macron plonge notre pays dans un conflit politique qui vire à « la guerre sociale ».
La guerre sociale en France. Aux sources économiques de la démocratie autoritaire de Romaric Godin, La Découverte, 248 p., 18 €

Ironie de l’Histoire : la première mention de l’« économie politique » est le fait d’un certain Louis de Mayerne, en 1611, dans La Monarchie aristodémocratique, publié à Paris « avec privilège du Roy » *. Alors que commence à peine le règne de Louis XIII, aujourd’hui qualifié de « précurseur de l’absolutisme » par les historiens, l’auteur « aristodémocratique » vante le modèle des « légitimes Républiques » des Pays-Bas… Il y a, aujourd’hui, comme un écho de cette témérité dans le premier livre du journaliste Romaric Godin, ancien rédacteur en chef adjoint au quotidien économique La Tribune, qui couvre aujourd’hui l’économie française pour le site d’information Mediapart. Car La guerre sociale en France, titre sans ambiguïté, défend l’idée que « la politique d’Emmanuel Macron (…) est en réalité une révolution néolibérale » qui « soumet entièrement le pays à cet ordre économique, intellectuel et culturel qui s’est imposé au monde depuis les années 1970 ». Et de façon plus iconoclaste, l’essai entend démontrer que cette « révolution » – pour faire écho au titre du livre-programme qu’Emmanuel Macron publia en novembre 2016 (XO éditions) – est en réalité « l’émergence d’une démocratie autoritaire », d’un « abus constant d’autorité » qui est lui-même « le symptôme d’une violence permanente faite à un corps social français profondément hostile au néolibéralisme ».
« Néolibéralisme » : le grand mot est lancé par Romaric Godin dès les premières pages de son livre. Pour celles et ceux qui estimeraient que le concept est un passe-partout de la pensée soi-disant critique, l’auteur s’est donné la peine de consacrer tout un premier chapitre à la définition, l’histoire et l’analyse du concept. Et, dès ce commencement, la rigueur intellectuelle du journaliste impressionne, car, s’il mobilise une documentation experte de haut niveau (anglo-saxonne pour une part importante), ses explications théoriques et sa mise en perspective historique de « l’ordre néolibéral » sont étonnamment lisibles, au point de sembler couler de source. Cette maîtrise didactique – attendue mais trop rarement trouvée chez des auteurs bien plus chevronnés – n’est pas la moindre qualité de La guerre sociale en France, ce qui lui évite, de bout en bout, d’être assimilable à un pamphlet.
Justifiant avec autant de science que de fluidité dans l’écriture l’avertissement que notre pays est entraîné inexorablement dans un conflit politique (néolibéralisme versus équilibre capital-travail issu de la Libération) qui vire à « la guerre sociale », Romaric Godin prend in fine le risque d’esquisser, dans une conclusion prospective, les quatre scénarios politiques devant lesquels il s’agit, selon lui, de se déterminer dès aujourd’hui : 1/un « durcissement du ton » d’Emmanuel Macron et un « usage maximum des pouvoirs que lui confère la Ve République », pour « imposer » un néolibéralisme « de plus en plus autoritaire » face aux résistances populaires (Gilets jaunes et autres contestations) ; 2/un « basculement dans un régime nationaliste » ; 3/une « évolution à la brésilienne », tout autant d’extrême droite ; 4/la « construction d’une alternative crédible et puissante » de gauche, présentée comme seule « capable d’éviter la violence d’État et celle, quotidienne, du capitalisme néolibéral ». C’est, bien entendu, cette troisième voie, portée par « l’urgence écologique » et le « rejet de l’autoritarisme », qui a la préférence de l’auteur, même s’il la sait encore très hypothétique.
Antoine Peillon / La Croix du 21 octobre 2019
* Selon l’historien Gregory King, dans « The origin of the term ’political economy’ », Journal of Modern History, 1948.